lundi 19 juillet 2010

C7. SOCIOLOGIE des TERRASSES (Udaipur, 19.07.2010)



SOCIOLOGIE des TERRASSES

(Udaipur)



A qui appartient cette grosse paire de jumelles ?
Elle traîne sur une des quatre tables du restaurant Shiva.
Sur la terrasse, personne.


Contempler le lac Pichola est toujours un plaisir.
Puis je m'assieds à une table pour écrire.

Plus tard, un homme apparaît sur un toit, de l'autre côté de la ruelle.
Portable à l'oreille, il va et vient en téléphonant.
Nous ne sommes pas très éloignés, mais je n'entends pas ses paroles.

Vers 17h, le ciel se bouche, les nuages épais noircissent.
Un orage peu ordinaire s'annonce.
Vingt minutes plus tard, une cataracte d'eau me surprend au milieu d'un poème.
Les collines environnantes ont disparu, le paysage a rétréci.

Je me lève, approche de la balustrade.
Un déluge s'abat sur Udaipur !

Une violence élémentaire, pure.
Des traînées d'eau traversent l'espace comme des câbles de fibres optiques.
Impossible de ne pas admirer un tel déchaînement.
De l'eau éclabousse mon visage et mon corps, je recule un peu.

En face sous la pluie, l'homme continue de téléphoner avec son portable.
Bizarre... Il risque de le détériorer...
Pourquoi ne le protège-t-il pas ?
Et pourquoi reste-t-il sous l'averse ?

Sur la terrasse d'un hôtel-restaurant, en surplomb du lac, une douzaine de jeunes Occidentaux s'agitent sous les flots.
Ils s'encouragent, dansent, s'amusent beaucoup.
Se doucher tout habillés, quel bonheur !
Un groupe d'Anglo-saxons, d'après leurs voix.
L'homme au téléphone les regarde, entre deux allées et venues.

Le cuisinier arrive.
C'est un jeune homme sérieux, père d'une fillette craquante, qui vient discuter avec lui de temps en temps.

Je l'imagine mal comme le voyeur aux jumelles.
Il éloigne les chaises pour les protéger.
L'eau ruisselle à partir de la balustrade et envahit
peu à peu la terrasse.
Ensuite il s'occupe dans la cuisine.


Je déplace la table vers l'intérieur, dépose mon sac hors de portée des giclées d'eau.
Le bruit de l'eau remplace les autres sons, accentue l'emprise de l'orage.
La pluie redouble.
Aurait-elle l'éternité pour noyer la planète ?


A droite, sur une autre terrasse , deux hommes et une femme nagent dans une piscine.
Le bavard, fasciné par la nageuse, oublie son téléphone.
La nageuse sort de l'eau, se sèche avec une serviette.
Elle finit par s'apercevoir qu'un homme scrute ses moindres mouvements.
Elle quitte la terrasse.
Un seul nageur continue sous la pluie quelques longueurs.
L'homme se remet à téléphoner...


Les trombes d'eau s'allègent, le plus fort de l'orage est passé.
Les jeunes poursuivent leurs jeux aquatiques.
L'un s'allonge dans une flaque et mime la brasse.
D'autres enlèvent un vêtement et l'essorent.

On se prend en photo, tous ensemble, puis par petits groupes.

La pluie s'arrête progressivement.
La pression se relâche, le paysage renaît des eaux.
Soulagé, je descends faire une promenade autour du lac.


Le lendemain, je m'assieds à la même table.
L'homme au téléphone est debout sur le même toit.
Y passerait-il nuit et jour ?

Un jeune homme arrive, regarde le paysage avec les jumelles d'hier.
Aucune Occidentale en vue. La piscine est vide.
J'écris sans faire attention à son manège.

Il observe des touristes prenant leur petit-déjeuner sur une terrasse.
Sa tenue de maître-nageur des années 1900 est proche de celle des cyclistes actuels. Maillot à rayures horizontales rouges et blanches, avec un pantalon rouge.
Après dix minutes, il appelle sur son portable.

Un nouveau jeune homme arrive, braque aussitôt l'énorme paire de jumelles vers le paysage.
Il a le visage fin et s'habille discrètement.
Parfaite antithèse de mon voyeur, au visage épais de brute, aux yeux globuleux.
Tous deux commentent les découvertes optiques du premier.

Ils s'asseyent à ma table, posent portables et jumelles, à côté de mon cahier.
C'est tellement plus agréable de discuter sous mon nez, alors que trois tables sont libres !
Concentré, je les ignore complètement.

Déçus, ils s'installent à une autre table, commandent un thé au cuisinier.
Après une exploration minutieuse à la jumelle, une conclusion s'impose.
Il n'y a rien d'intéressant à observer.
Ils quittent la terrasse avec portables et jumelles.


Et l'homme au téléphone, me direz-vous ?
Il a disparu.

Peut-être avait-il sommeil ?


Lionel Bonhouvrier.

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